Deuxième rencontre - 2008, Sainte-Maure de Touraine

Article: La race Poitevine  : histoire et renaissance

Origines de la race Poitevine

Suivant les différents auteurs ayant rédigé des ouvrages sur l’élevage caprin, cette race prend des dénominations différentes telles que chèvre du Poitou ou chèvre Poitevine. La région des sources de la Sèvre Niortaise est considérée comme le berceau de la race Poitevine : cantons de la Mothe –Saint-Héray, Celles-sur-Belle, Brioux-sur-Boutonne, Melle, Lezay, Chef Boutonne et Sauzé-Vaussais dans le département des Deux-Sèvres. Le centre de ce berceau d’origine est l’Est du Plateau Mellois, d’où très rapidement la chèvre Poitevine a conquis les provinces du Poitou, de l’Angoumois, de l’Aunis et de la Saintonge.
Selon Sanson (1878), la chèvre Poitevine fait partie du groupe du Massif Central auquel on peut rattacher les chèvres du Berry et de Touraine. Elle est considérée comme un rameau bien fixé de la chèvre commune (capra hircus vulgaris) qui peuplait tout le centre et l’ouest de la France. C’est la dernière représentante du type indigène commun océanique. En fait, il s’agirait d’un rameau de la chèvre commune domestiquée au Moyen Orient et qui a suivi l’Homme d’abord sur les rives de la Méditerranée, puis dans le Massif Central et ensuite dans le Centre Ouest.
D’autres encore remontent aux invasions arabes expliquant ainsi la similitude de la longueur du poil avec de nombreuses races du bassin méditerranéen. On retrouve ici la fameuse légende racontant que la chèvre Poitevine a été amenée en Poitou par les envahisseurs arabes au VIIIème siècle. Lors de la bataille de Poitiers en 732, les arabes repoussés, ont fait demi tour et ont laissé leurs chèvres qui en s’adaptant ont donné la chèvre Poitevine.
La présence d’os de caprins remontant à environ 3000 ans avant J.C. dans les fouilles des sites archéologiques, montre que son exploitation par les habitants de cette région, fut bien antérieure même à la colonisation romaine. En ce sens, d’autres tendent à penser qu’elle est arrivée avant la conquête de la Gaule par les romains.

De l’élevage familial au décimage de la population poitevine

En 1830, les statistiques du Ministères de l’Agriculture dénombrent 42 696 chèvres dans la région Poitou Charentes et 26 246 caprins dans le département des Deux Sèvres, chaque foyer possédant seulement une ou deux chèvres en moyenne (Toussaint, 1979). En 1892, 38 500 chèvres étaient comptabilisées dans le département restant très disséminées (Daunizeau, 1951) : « Dans le Poitou, les chèvres ne vivent point en troupeaux ; elles sont entretenues isolément ou par petits groupes de deux ou trois, souvent avec des moutons, et conduits en laisse au pâturage, afin d’éviter leurs dépradations sur les jeunes végétaux ligneux dont elles sont friandes ». Cette présentation par Sanson en 1878 reste valable plusieurs décennies plus tard, des photographies en témoignent.
En 1876, les ravages du phylloxéra ruinant l’économie viticole dans le Poitou a imposé une extension de l’élevage laitier plus apte à fournir des moyens de trésorerie.
En 1906, la création de la première coopérative traitant du lait de chèvres à Bougon, souligne que sa production a dépassé les besoins familiaux. Une multitude de petits producteurs envahissait les marchés locaux pour vendre des fromages.
Si les débuts sont modestes (500 chèvres concernées), l’augmentation de la collecte est rapide, et d’autres établissements voient le jour, entraînant une augmentation du cheptel dans les Deux Sèvres (58 000 chèvres en 1924), mais aussi dans les départements voisins.
Mais ce sont les épidémies successives de fièvre aphteuse à partir de 1920 qui démontrent la progression du besoin de lait de chèvre pour la transformation industrielle. En effet, en réunion du Conseil de la fromagerie coopérative de Bougon, il est décidé d’allouer une aide aux éleveurs victimes de cette maladie pour reconstituer leurs troupeaux à partir de chèvres achetées dans le Sud Est. Ainsi, cette calamité sanitaire va profiter à l’implantation de chèvres Alpines au détriment de la population Poitevine.
Joseph Crepin a joué un rôle non négligeable dans ce changement. Désigné comme « l’apôtre de la chèvre », il vanta les capacités rustiques et laitières de l’alpine tout en condamnant la Poitevine : « une race caprine assez mal fixée, et du reste peu plaisant à l’œil, qui nous paraît être le résultat de l’abâtardissement de la chèvre des Pyrénées avec la race commune que l’on trouve sous toutes les latitudes, et qui nous donne partout, par la rudesse de son poil noir ou fauve et l’insignifiance de son individu étique et disgracieux, l’impression de ce que pouvait être la chèvre à l’abandon » (Crépin, 1906). Selon Montazeau (1996), « En 1923, Monsieur Joubert, professeur d’Agriculture en Seine et Marne signale pouvoir fournir aux sociétaires des chèvres alpines. Le 26 mars 1925, les présidents des laiteries de Bougon et de la Mothe Saint Héray rencontrent au concours Général Agricole de Paris Monsieur Crépin ».

Début de la sélection de la chèvre poitevine

Dès la création de la coopérative de Bougon, une sélection de cet animal était déjà opérée. Elle portait essentiellement sur son caractère sans cornes, c’est-à-dire « motte » privilégié par les éleveurs.
Le 11 septembre 1947, une réunion de 11 fromageries coopératives des Deux Sèvres et de la Vienne envisageait l’amélioration de la chèvre du Poitou, qui mettrait en œuvre un contrôle laitier–fromager syndical soutenu financièrement par une union interdépartementale de coopératives fromagères. Parallèlement, devait s’implanter un Livre Généalogique chargé de l’enregistrement des performances, après avoir déterminé le standard exact de la race. Ces organismes faciliteraient la mise en place d’une méthode d’insémination artificielle et étudieraient le problème de la mise en chaleur artificielle de la chèvre, afin d’aboutir à un meilleur échelonnement de la production.
Le 11 mars 1948, sept coopératives des Deux Sèvres et de la Vienne constituaient l’Union des Coopératives Agricoles de Laiterie exploitant la race caprine Poitevine, dont l’objet se définissait ainsi :
« L’Union a pour objet la création et la gestion de services en commun pour l’amélioration de la production de la collecte et de l’utilisation du lait de chèvre tant en quantité qu’en qualité tels que :

  • contrôle laitier fromager,
  • utilisation des meilleurs géniteurs et notamment insémination artificielle et mise en chaleur artificielle,
  • bonification de l’alimentation.

L’Union se propose également, soit de tenir le Livre Généalogique de la race, soit d’apporter son aide au groupement d’éleveurs tenant ce Livre. Dans ce dernier cas notamment, les résultats des contrôles de performance seront transmis avec toutes garanties exigées pour l’inscription au Livre Généalogique de la race, qui devra rester unique et contenir tous les renseignements contrôlés obtenus tant par le groupement d’éleveurs tenant le Livre que par l’Union. »
Le 12 décembre 1949, la commission technique du Goat Book Poitevin se réunissait à la Mothe Saint Héray et établissait les bases du règlement technique, notamment le standard de la race, qui allait déterminer cet animal que nous connaissons si bien :
« La robe-type à rechercher est la robe-cape de more. Elle comporte un manteau dont la couleur brun foncé s’étend sur la tête et l’extérieur des membres et s’éclaircit en bordure ou la couleur est « fougère morte », le blanc se trouve sous le ventre, la face intérieure des oreilles et sur la tête où il forme deux raies blanches symétriques de chaque côté du chanfrein. »
D’autre part, furent adoptés des tables-type de mensuration et de pointage, les modèles de certificat d’inscription, les conditions d’âge d’inscription et de contrôle laitier.
Dès lors, un effort particulièrement important va être entrepris au niveau de deux coopératives laitières de Bougon et de la Mothe Saint Héray. Chaque année, l’effectif contrôlé par les syndicats de contrôle laitier attachés aux laiteries croît régulièrement. Des éleveurs dynamiques augmentent sans cesse les niveaux de production pour atteindre des lactations dépassant 1200 kg de lait. Les concours se multiplient récompensant les meilleurs d’entre eux. Le fromage de la région atteint une renommée nationale. Cependant après dix années de sélection, la race ne s’étend pas et reste noyautée autour de ces quelques laiteries, alors que l’on assiste à une implantation de plus en plus grande de la race alpine dans la région.

En 1964, la création d’un organisme départemental de Contrôle Laitier et beurrier, ainsi que la prise en main du Livre Généalogique par les éleveurs devaient donner un nouvel essor à la race Poitevine.

La réorganisation du livre généalogique caprin poitevin

Le 17 novembre 1964, l’Union des Laiteries Exploitant la Race Poitevine confiait à un syndicat d’éleveurs la gestion du Livre Généalogique Caprin Poitevin. Son siège s’établit au Foyer de Progrès Agricole de Melle. Dès cet instant, un certain nombre de mesures furent prises afin de permettre une extension rapide de la race, tout en maintenant une amélioration soutenue de la production laitière :

  • l’aménagement d’un secrétariat efficace avec notamment la création d’un système de fiches individuelles d’animaux au sein de dossiers d’élevage avec enregistrement systématique de toutes les naissances et performances, l’utilisation des mêmes normes d’identification que le Contrôle Laitier Officiel. Dès lors, un certain nombre de critères ont pu être chiffrés sur l’ensemble de l’effectif de la race.
  • une ouverture plus large du Livre Généalogique à des animaux provenant de l’extérieur. Outre le Livre Généalogique classique, le Livre des Jeunes et le Livre d’Attente , le Conseil d’Administration créa un Livre d’Elevage, autorisant l’inscription d’animaux ne répondant pas au standard, mais qui, croisés avec des mâles inscrits, pourraient obtenir l’inscription de leurs produits, sous réserve que ces derniers répondent au standard de la race.

Afin de régulariser la vente des chevrettes inscrites, se constituait parallèlement un groupement d’éleveurs, qui mettait à l’étude un « troupeau pépinière », futur réservoir de reproducteurs pour la vente.

Ces mesures demeuraient encore insuffisantes pour favoriser l’expansion de la race. Lors de l’Assemblée Générale du 26 septembre 1967, les éleveurs étendaient par un vote massif, le standard de la race aux coloris blancs, roux et gris. Cette résolution demanda un certain nombre d’aménagements toujours actuels :

  • la création d’un cadre étroit de normes de pointage et de mensurations définissant l’animal de type poitevin de grande taille et longiligne
  • un plan d’expansion comprenant un inventaire à l’échelon national puis européen. Ce plan doit permettre de détecter les moyens existant dans d’autres régions, d’encourager les éleveurs dans leurs efforts de sélection.

Dans le domaine du contrôle laitier, dès 1965, le Livre Généalogique finançait les frais du contrôle de la matière azotée pour tous ces éleveurs, la pratique de l’analyse de la matière grasse appliquée jusqu’à ce jour n’apportant en effet aucun élément de sélection valable dans le domaine caprin. L’analyse de l’extrait sec avait été abandonnée en 1961.
De même, le nombre assez restreint des familles actuellement productrices de boucs et le désir de pouvoir mesurer le potentiel laitier des reproducteurs mâles, déterminaient le Conseil d’Administration à étudier un projet de testage, devant permettre la détection des boucs améliorateurs.
Dans le cadre de l’insémination artificielle et grâce à une commission spéciale d’achat, le Centre Expérimental d’Insémination Artificielle de Rouillé se trouve doté des principaux champions de la race, mettant ainsi à la disposition des éleveurs de deux départements les meilleurs géniteurs poitevins.
Le noyautage de la race dans une petite région n’a permis qu’une évolution restreinte du nombre des animaux inscrits pendant plus de 10 ans. Par contre à partir de 1965, on constate une augmentation prodigieuse de 100% par an. Cette progression se révèle largement suivie par le nombre des éleveurs adhérant au Livre Généalogique, puisqu’il passait de 22 en 1965, à 29 en 1966 et 52 en 1967. Dans le même temps, l’effectif inscrit progresse également avec 601 animaux inscrits en 1967, 857 en 1968 et 1025 en 1969. Ces élevages se répartissent maintenant sur cinq départements. Cela prouve également qu’une prospection, même superficielle, car ne possédant que de très faibles moyens, permet malgré tout, de démontrer l’opportunité d’une exploration nationale, voire européenne.

La race Poitevine entre dans une période de régression

En application de la Loi de l’Elevage, le secrétariat du Livre Généalogique se voit contraint en 1968 de rejoindre l’UPRA caprine à Blois. Cette extirpation du berceau de race (moteur de sa croissance) va être fatale à la politique d’amélioration génétique entreprise. On constate qu’en 1970, 1060 femelles poitevines étaient contrôlées produisant en moyenne 517 kg de lait pour une moyenne nationale de 507 kg toutes races confondues. 15 ans plus tard, elles n’étaient plus que 508 au contrôle laitier pour une moyenne de 502 kg alors que la moyenne nationale était passée au dessus de celle de 1960 grâce notamment au progrès génétique.
Cette régression de la base de sélection voyait en même temps se développer celles des races alpine et saanen plus productives, surtout pendant la période où les laiteries payaient encore le lait de chèvre à la quantité. En effet, le bon travail de sélection génétique favorise les races alpines et saanen. Ce constat conduit une majorité d’éleveurs à écarter la Poitevine de leurs troupeaux pour des raisons de rentabilité économique. Ses longs poils ont également contribué à sa régression, rendant plus difficile son entretien en stabulation alors que jusque là, ils la protégeaient.
Dans les années 1970, les défenseurs de la Poitevine se comptent sur les doigts de la main. Quelques rares élevages restent fidèles !

Une renaissance

En 1985, lorsque le lycée agricole de Melle qui détenait un des plus beaux troupeaux composé de 80 chèvres poitevines, faisait savoir son intention dans un projet d’extension de son élevage caprin de les remplacer par des chèvres alpines ; un appel au secours était lancé par les quelques éleveurs poitevins survivants. En 1986, sur l’initiative d’un professeur du lycée agricole de Melle, Jean Christophe Sauze, se créait l’Association pour la Défense et le Développement de la Chèvre Poitevine (ADDCP) qui rassemblait rapidement 28 éleveurs détenant plus de 800 caprins poitevins.
Un des objectifs primordiaux de la nouvelle association est de « recenser les animaux, notamment les boucs, de nombreuses Poitevines subsistant dans les fermes hors du circuit Contrôle Laitier / UPRA » (SIMON M., 1986). Il aura donc fallu 9 ans, dans une période cruciale pour que ce travail puisse se réaliser…
Dès le début, l’association mettait en place « La Lettre de l’ADDCP » qui résolvait le premier obstacle à l’extension de la race, celui du manque d’informations aussi bien entre éleveurs qu’entre sympathisants.
En 1989, les premiers boucs ont été sélectionnés afin de mettre à disposition l’insémination artificielle pour les éleveurs de poitevines.
En 1992, le FIDAR (Fonds Interministériel de Développement et d’Aménagement Rural) permettait le financement d’une pépinière. Il s’agissait en fait de réserver des animaux de race poitevine chez les éleveurs pour qu’ils consentent à les garder dans l’attente d’un acquéreur. Cette action répondait à un deuxième obstacle à l’expansion de la race , celui de limiter la consanguinité due au nombre restreint de familles.
De plus, cette année est également marquée par le début des recherches entreprises par l’INRA sur la caséine αS1 contenue dans le lait de chèvres et plus particulièrement dans le lait de poitevines. En effet, elle possède une plus grande fréquence des variants génétiques forts de la caséine αS1 notamment l’allèle B1 originel. Cet allèle exprimé permet d’obtenir plus de matière fromageable grâce à une teneur en caséine du lait supérieur de 4 à 6 g par litre (pour des taux butyreux et protéiques équivalents en comparaison à une autre race). Cette recherche sur les allèles confirme la réputation fromagère de la Poitevine et tend à démontrer l’ancienneté de la race.
En 1994, une convention passée avec la Parc Interrégional du Marais Poitevin permettait d’obtenir, dans le cadre de la gestion des ressources génétiques, une subvention pour effectuer un inventaire de la race poitevine. 1050 animaux étaient ainsi recensés dans 58 élevages. Un certain nombre d’informations intéressantes sur les types de troupeaux, la conduite des élevages, les modes de production ont également été collectées.
En 1997, l’association se voyait attribuer un financement triennal dans le cadre du programme de sauvegarde des race domestiques du Parc Régional qui va surtout permettre de répondre au besoin d’animation des activités de l’ADDCP, troisième obstacle à l’extension de la race. Les axes de travail étaient les suivants :

  • créer un répertoire des animaux de race Poitevine tenu par Caprigène en collaboration avec l’Institut de l’élevage, à partir d’un recensement basé sur des visites d’élevage,
  • constituer une réserve génétique en congelant de la semence, également utilisable pour l’insémination artificielle, mais aussi une volonté de réserver les meilleurs boucs et mères à boucs,
  • promouvoir la race,
  • valoriser les produits de la chèvre Poitevine.

Le compte rendu technique de 2003 montre combien ces actions se sont révélées positives puisque 89 élevages détenant 2053 animaux ont été visités dans le cadre du répertoire.
Aujourd’hui, l’opération de sauvegarde de l’ADDCP a donc réussi avec 2 500 chèvres Poitevines inscrites au répertoire caprin Poitevin. Pourtant, l’avenir reste incertain. Malgré les efforts de l’association et de ses partenaires du programme de sauvegarde et de conservation, la Poitevine reste une race menacée.
Pour cela, l’ADDCP cherche à susciter la création de nouveaux élevages. Elle est aussi là pour rappeler aux poitevins l’existence d’une chèvre, emblème du Poitou, qui a largement contribué à la renommée du Chabichou. Elle représente la qualité, elle a été victime de la spécialisation et de l’intensification de l’élevage. Son patrimoine génétique est une ressource à conserver et à valoriser.
La participation active du plus grand nombre d’éleveurs, la motivation et l’adhésion de tous sont des facteurs indispensable de réussite.

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