Deuxième rencontre - 2008, Sainte-Maure de Touraine

Article: Hindouisme et sacrifice de boucs à l’Ile de la Réunion

O.Fontaine, D. Niobé, E Shitalou, D.Fontaine, J.P. Choisis

L’abolition de l’esclavage du 20 décembre 1848 s’ensuit d’une déstructuration rapide de l’économie de l’Îsle Bourbon, à l’époque colonie française. Les propriétaires terriens connaissent, par ailleurs, des difficultés à disposer d’une main d’œuvre suffisante pour les besoins de leurs plantations de canne à sucre et des usines sucrières. Aussi décident-ils de recourir à des travailleurs étrangers grâce à des contrats d’engagement. Des engagés indiens, de confessions musulmane ou hindoue, viennent alors combler la déficience en main d’oeuvre dans la petite île, qui sera par la suite baptisée île de la Réunion.
Ces engagés indiens signent un contrat de travail d’une durée de cinq ans qui prévoit outre un revenu salarial, la mise à disposition d’un lieu d’habitation, des jours fériés, un espace commun pour la pratique de leur religion et le paiement du voyage permettant leur retour dans leur pays d’origine à la fin de leur contrat en cas de non-reconduction. A leur débarquement, ils sont immédiatement mis en quarantaine aux Lazarets de la Grande Chaloupe avant d’être envoyés dans des plantations sucrières de l’île. La plupart d’entre eux sont alors logés dans des cabanons, ces petites paillotes anciennement occupées par les esclaves.
Les contrats d’engagement leur offrent théoriquement une garantie quant à la liberté de pratiquer leur religion. Ce principe s’accorde toutefois difficilement avec le climat colonial de l’époque où le catholicisme est la religion d’Etat. Les indiens subissent alors un processus de déculturation les obligeant à se convertir au catholicisme. Refusant de se laisser absorber par la culture dominante, ils se regroupent pour pratiquer d’une manière collective leur religion.
Chez ces indiens émigrés, l’hindouisme a toutefois survécu au prix de tensions et de remaniements. Nonobstant la volonté de ces exilés à conserver l’hindouisme tel qu’ils le pratiquaient en Inde, la séparation avec leur pays d’origine et le mélange des peuplades hindouistes, musulmanes, africaines et européennes au sein de la plantation ainsi que le partage du même lieu de culte a produit un syncrétisme qui s’est traduit par un processus de divergence entre hindouisme classique et hindouisme local. Leurs descendants, nommés les« malbars » , ont hérité des traditions et des pratiques rituelles de leurs ancêtres transmis oralement de génération en génération. Religion malbar, religion tamoule, hindouisme populaire, quelque soit la dénomination, il est vrai que des spécificités locales existent et se maintiennent telles que la présence du Nargoulam , produit d’une rencontre entre islam et hindouisme, à l’entrée de la plupart des temples de plantation, la marche sur le feu, la transe et les sacrifices d’animaux.
Dans l’Inde védique, les sacrifices d’animaux font partie des prescriptions rituelles. Le sacrifice réactualiserait, en effet, le sacrifice primordial du Purusha, selon lequel le Dieu Prajapati se sacrifia. La pratique sacrificielle est une communication des hommes avec la divinité, où se conjuguent fécondité et renaissance. Le sacrifice animal demeure une pratique religieuse traditionnelle au sein de l’hindouisme à la Réunion. Ce rite provient directement de l’héritage cultuel et culturel des engagés indiens. Les sacrifices d’animaux perdurent dans l’histoire religieuse et dans les pratiques des hindous de la Réunion, car ils sont porteurs de sens pour la communauté tamoule. Les sacrifices de bouc et de coqs sont, d’une part commémoratifs de cet héritage ancestral et d’autre part, participent à la spiritualité.
Les sacrifices d’animaux sont toutefois décriés. D’abord, au sein de la communauté tamoule où deux courants s’opposent depuis plus de trente ans. Appuyés par des brahmanes indiens et mauriciens, les adeptes d’un renouveau tamoul revendiquent la pratique unique du végétarisme comme seule façon de se purifier et de s’élever spirituellement ; ils contestent notamment la pratique des sacrifices d’animaux. Soutenus, par les poussaris réunionnais, d’autres prônent, au contraire, la conservation des rituels traditionnels, façonnés depuis plus de cent cinquante ans et hérités des ancêtres, qui étaient principalement des Intouchables, des Hors-castes, des parias en Inde. Ces deux conceptions reflètent plus globalement une opposition religieuse entre la vision d’un hindouisme brahmanique et la pratique d’un hindouisme populaire hérité des premiers engagés indiens, diabolisé à l’époque par l’église catholique et aujourd’hui par d’autres confréries. Ensuite, d’un point de vue juridique, cette façon de mettre à mort un animal peut-être considérée comme illégale et non respectueux des normes sanitaires en vigueur au niveau national et européen.
Les boucs destinés à des sacrifices rituels représentent, pourtant, près de 90% de la production locale de cabris. Les institutions de recherche et de développement manifestent donc un intérêt certain pour ce « marché sacrificiel » qui pèse dans l’économie locale, en particulier agricole. L’interrogation porte sur les modalités d’organisation d’une filière qui puisse prendre en compte ce marché spécifique.

Dans l’hindouisme, le panthéon religieux est vaste dans la mesure où plus de 40 000 divinités y sont recensées. A la Réunion, les sacrifices d’animaux se font surtout en l’honneur de certaines d’entre elles. On dit qu’elles acceptent le don du sang.

Nous décrivons une cérémonie en l’honneur de la déesse Karly. Des boucs et des coqs sont, en effet, sacrifiés chaque année dans le cadre du culte de cette divinité féminine. Plus largement, cette description nous permettra d’appréhender la mise en scène du rituel sacrificiel, le sens du rite ainsi que les aspects traditionnels de l’hindouisme réunionnais.

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