Sixième rencontre - 2012, Fabrèges (Haute-Loire)

Article: Table Ronde sur l’évolution récente du métier d’éleveurs de chèvre et ses perspectives

La table ronde est animée par Yves Lefrileux (Chef de projet à l’Institut de l’Elevage en conduite et alimentation des caprins et responsable de la station du Pradel - Ardèche).

Quatre éleveurs caprins sont invités à témoigner. Les trois premiers sont savoyards :

  • Jean-Claude Bonhomme, 40 chèvres, production Chevrotin AOP et un peu de tome au printemps. Il prend 50 génisses en pension l’été et achète tous les intrants, foin compris. "Avant, je livrais sept crémiers, aujourd’hui un seul et des supermarchés"
  • Pierre Come, achète aussi l’alimentation de ses 40 chèvres, transforme à deux personnes toute sa production en lactique, commercialise directement sur Genève.
  • Jean Vuillet, éleveur de ? chèvres ? sur 15 hectares plus quatre mois d’alpages, produit du Chevrotin AOP en Gaec de 3 personnes plus une en prévision. Mode de vente ?
  • Le quatrième, Patrick Le Ravalec est éleveur dans le Rhône de 115 chèvres en zéro-pâturage, en Gaec à trois plus un fromager, il produit de la rigotte de Condrieu, la moitié en vente directe, l’autre en centrale d’achat et moyenne distribution.

Tous visent une forte valorisation, profitant des opportunités locales, comme le tourisme, et les diversités régionales.

Le débat est lancé autour de trois axes : le choix initial lors de l’installation, la réaction aux nouvelles technologies et la réponse à une nouvelle demande sociétale, réelle ou non…

1/ Le choix de devenir chevrier, ou du rêve à la réalité.

Le chevrier fait-il un métier voulu ou choisi ?

Pour Patrick, c’est un rêve "Je n’ai toujours fait que de la chèvre. J’ai toujours dit que je ferai des chèvres. Mais si tu veux réussir, il faut te former sérieusement".Après sept ans de salariat chez un patron exigeant, il s’est installé. Lui qui rêvait de s’allonger dans l’herbe verte et de chanter, il est passé au zéro-pâturage. La réalité n’est pas le rêve, mais la passion est là, faite surtout de rencontres et d’ouverture aux autres.

Pierre est citadin, s’installer sans être fils de paysan est quasiment impossible. Après une formation de fromager, il achète une ferme et du foncier puis s’agrandit par étapes. Lui "qui avait la trouille d’aller vendre ses fromages", il s’est constitué petit à petit un réseau commercial.

Pour Jean, ce fut un coup de foudre : quitter les Eaux et Forêts pour s’installer sur l’exploitation grand-paternelle. Sans emprunt, en bio sans certification, mais toujours en association avec beaucoup de co-formation.

Simon Ouin, formateur dans les Deux-Sèvres complète le tableau par son témoignage : Il s’est installé en 1981 sur un modèle hyper technique, passant de 900 à 1000 puis 1100 litres… "Il fallait grandir sans arrêt, ça ne m’a pas plu."

Tous évoquent la difficile introduction des produits caprins dans une culture alimentaire alpine fondamentalement bovine, mais les clientèles changent (habitants permanents et touristes)…

Le présent

Les chevriers pensent que les jeunes qui s’installent aujourd’hui d’un bloc – au contraire de l’agrandissement progressif - prennent de gros risques en investissant massivement. Mais ils constatent que le monde a changé, vers des mentalités et des motivations plus économiques, dans un univers ou l’individualisme a pris le pas sur l’esprit de communauté. "Les jeunes manquent d’imagination pour vendre et cassent les prix !".

Quelles sont les perspectives d’avenir ?

Ils constatent la grande difficulté d’acquérir du foncier, d’où la solution d’installation hors-sol, avec un ordre de 100/120 chèvres en couple en système fermier ou laitier ?, et d’alpage si c’est en Gaec. La réduction du temps de travail, notamment par la monotraite, est une exigence, qui oblige souvent au travail en association (Gaec). Le besoin de formation technique reste une nécessité. La reconnaissance et l’appui grandissant des structures agricoles affirmant le travail environnemental et économique des éleveurs compte pour les chevriers. Ils admettent cependant qu’il est possible de s’installer avec 30 chèvres "hors-cadre"…
Il me semble qu’il faut insister ici sur le fait que les éleveurs sont souvent doubles actifs dans les Savoie et qu’ils peuvent s’investir dans le tourisme (ski notamment)

Pour compléter cet échange, il aurait fallu avoir l’avis de jeunes récemment installés ainsi que d’éleveurs de dimension plus importante (vers les 500 chèvres)… il faudrait ici préciser si il s’agit de la taille du cheptel ou du nombre de chèvres par UMO (rappel : il existe un coefficient de 3 à 4 entre la valorisation du litre de lait en production laitière ou fermière (soit de 0,6€/l à 2€/litre soit 100 ou 350 chèvres pour vivre selon que l’on est en fermier ou laitier) !!!! Morbleu !

2/ Comment réagir face aux nouvelles technologies ?

Y a–t-il barrage ou blocage face aux nouvelles technologies, particulièrement l’identification électronique ? "Poser des boucles électroniques, ça ne sert à rien". Les éleveurs se disent opposés à cette technique imposée, non justifiée. Ils assimilent la traçabilité avec un "flicage". Ils dénoncent également une paperasserie grandissante et énergétivore malgré l’invasion croissante des saisies informatiques.

Une autre constatation est dite : "Les structures comme l’Anicap sont trop loin, trop étrangères. Pourquoi y aller quand on n’est pas représenté ?" Et les intervenants d’exhiber un numéro de la revue "La Chèvre" de 1981 !
C’est très drole, car j’ai regardé cette fameuse revue de 1981 et en fait on y parlait déjà d’identification… recherche là, tu verras…
Un style qu’ils estiment plus proche de leurs interrogations actuelles… Y aurait-il une coupure entre deux Frances caprines ? L’une plus technologique et laitière et l’autre plus fromagère et plus humaine… Je crois que ce point de vue était principalement celui de l’animateur de la table ronde...
Ce qui signifierait ici que technologique s’oppose à humain ? Comment concilier nos utilisations de voitures, de montres, d’électroménager, d’ordinateurs, etc. sommes nous bien humains nous-mêmes ?...
En tout cas, l’ouest semble voté à gauche et l’est à l’extrême droite… où est l’humain dans tout cela ?... !!
Pour ma part, je continue de penser que la taille des cheptels caprins n’est pas le bon critère discriminant des systèmes agricoles. Il conviendrait de veiller à préserver l’agriculture paysanne et familiale avant que l’agriculture industrielle au sens capitalistique du terme (propriété des capitaux et main d’œuvre salariée employée) ne se développe réellement (comme en porcheries, céréales et horticulture par exemple).
La taille des cheptels ne distingue pas le mieux la géographie caprine française si on ne distingue pas les systèmes laitiers des systèmes fermiers.
Et concernant la taille, les Savoyards eux-mêmes ont des cheptels d’ovins et caprins en Alpage qui dépassent tranquillement les 2000 têtes ! Est-ce bien humain ?... je vous le demande chers confrères !

3/ Les relations des éleveurs et la société.

Qu’en est-il de ces nouveaux concepts de Bio, d’Equitable, de Durable, d’Empreinte carbone, de Poids environnemental, et du fameux "Bien-être animal" ? Et de la présupposition que l’agriculteur est pollueur, vendeur d’acides gras, etc.? "Autant de questions qui ne devraient pas se poser !" selon les chevriers présents. Deux exemples précis : l’écornage et le désaisonnement. "Si j’ai mis quinze ans à devenir un assassin-écorneur, c’est parce que mes clients ne veulent pas que les chèvres éraflent leur voiture sur le parking…" Le désaisonnement lumineux ? "Ils sont contre mais veulent du fromage toute l’année !" Et le Bien-être animal ? Seules des normes contraignantes de surface ou de durée seront édictées, qui ne pourront être contrôlées que selon des critères strictement quantitatifs, ce qui n’a pas de sens. Car la relation homme-animal est qualitative, tout comme la relation humaine entre l’éleveur fromager et ses clients. Comment réagir devant une population – clientèle – de plus en plus déconnectée de l’origine des aliments qu’elle achète majoritairement en grande surface ? Par la transparence, la pédagogie et le développement des circuits courts, AMAP notamment. Il convient "d’en revenir à la notion de "fermier de famille", d’être capable de construire des systèmes efficaces innovants dans le système traditionnel, sans le contrôle du consommateur." C’est de cette volonté qu’est née le "Printemps des chèvres" : créer un événement professionnel à l’occasion du renouveau de la saison pour rendre visible le monde caprin et ses productions.
Mais la question sociétale reste posée en guise de conclusion : "Jusqu’où est-on prêt à aller pour que les gens aient le droit d’intervenir dans les pratiques d’élevage ? Par la responsabilisation des consommateurs intrusifs et la pédagogie !"

Jean-Noël Passal

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